Le gang des saris roses
Elle s'appelle Sampat Pal Devi.
Elle est indienne et habite la province la plus pauvre de l'état le plus démuni qui soit en Inde : l'Uttar Pradesh.
Elle a 47 ans, a été mariée de force dès l'âge de 9 ans et est mère de cinq enfants.
Sampat Pal Devi est la fondatrice d'un groupe de femmes surnommés les " Gulabis ", du nom de la couleur rose particulière de leurs saris qu'elles portent en signe de ralliement.
On les connaît aussi sous le nom de "Gang des Saris Roses" ou " Pink Gang" .
Naître Femme en Inde est encore et toujours une malédiction.
Les paroles de cette chanson populaire :
-" Pourquoi es-tu venue au monde, ma fille, quand c'est un garçon que je voulais ? Vas donc à la mer remplir ton seau : puisses-tu y tomber et t'y noyer", en donne la mesure.
Les classes les plus aisées n'hésitent pas à recourir à l'avortement sélectif, privilégiant la naissance de garçons au détriment des filles.
Les classes les plus pauvres ont recours à une méthode plus passive mais tout aussi irrémédiable : le défaut de soins .
Ainsi la mortalité infantile est de 1,5 fois supérieur chez les petites filles, comparée à celle des garçons.
Les infanticides de nouveaux-nés de sexe féminin sont aussi courant.
C'est ainsi d'un déficit de naissance de près de 100 millions de femmes dont l'Asie est victime. C'est en Inde et en Chine que les manques deviennent les plus criants.
Ainsi dans l'état de l'Uttar Pradesh le ratio hommes/femmes est de 846 femmes pour 1000 hommes, alors qu'au niveau international il est de 105 femmes pour 100 hommes.
Le taux d'alphabétisation, qui est un autre indicateur du soin donné aux femmes est de 25,9 pour les femmes contre 50,4 pour les hommes.
Il serait ainsi légitime de penser que le fait de devenir "rare" conférerait à la Femme une attention toute particulière qui la rendrait précieuse aux yeux de la société.
Mais pas du tout !
Le film du cinéaste indien Manish Jha Matrubhoomi, un monde sans femmes (2005) illustre parfaitement le(s) problème(s).
Humiliées, maltraitées, vendues, enlevées, violées, livrées à la prostitution, assassinées dans des crimes dit "d'honneur" être Femme est un fléau.
Et si en plus vous faites partie de la caste des intouchables, l'indignité est totale.
C'est le cas de Sampat Pal Devi.
Et de pratiquement toutes les femmes qui "militent" auprès d'elle.
Elles sont donc vêtues d'un sari rose, mais aussi et surtout armées d'un long bâton traditionnel appellé "lathi" dont elles se servent pour faire respecter leurs droits.
Et elles s'entrainent : Au combat, à la résistance.
Ainsi si une femme est victime de violence domestique, d'abus sexuels et qu'elle veut déposer plainte, elles l'accompagnent auprès de l'officier chargé de prendre la plainte.
Et si celui-ci fait mine de refuser de la recevoir, comme c'est souvent le cas, poids des traditions et corruption obligent, elles n'hésitent pas à le traîner hors du commissariat pour le rouer de coups jusqu'à ce qu'il s'éxécute.
Si un mari s'avise de violenter sa femme, elles viennent en délégation lui infliger une correction.
De même pour les belles-mères maltraitantes.
Elles veillent aussi désormais à la répartition des denrées alimentaires attribuées gratuitement par le gouvernement pour venir en aide aux populations défavorisées.
Denrées détournées le plus souvent par des fonctionnaires corrompus et qui finissaient en vente sur les marchés locaux.
Et elles défendent la scolarisation des petites filles.
Témoignage de Sampat Pal Devi :
" Personne ne vient à notre secours, ici. Les fonctionnaires et la police sont corrompus et hostiles aux pauvres. Aussi sommes-nous parfois obligées de faire respecter la loi par nous-mêmes. Nous sommes une bande de justicières, pas un gang...
Nous avons empêché que les femmes soient violées et nous avons envoyé les filles à l’école. La violence contre des femmes et le viol sont très communs ici, aussi, nous essayons de les éduquer pour qu’elles connaissent leurs droits...
Dans les cas de violence domestique, nous allons parler au mari pour lui expliquer qu’il a tort. S’il refuse d’écouter, nous faisons sortir la femme et alors nous le battons. Au besoin, nous le battons en public pour l’embarrasser. Les hommes ont l’habitude de croire que les lois ne s’appliquent pas à eux, mais nous faisons le forcing pour que ça change totalement...
L’année dernière, après avoir reçu des plaintes parce qu’un magasin d’état ne donnait pas la nourriture qu’il était censé distribuer gratuitement aux pauvres, le gang a commencé à surveiller le propriétaire et son fils.
Une nuit, on a vu deux camions chargés de grain sur le chemin du marché, où le propriétaire du magasin prévoyait de le vendre et d’empocher les bénéfices...
Le Pink Gang a fait pression sur l’administration locale pour qu’elle saisisse le grain et s’est assuré ainsi que le grain soit correctement distribué."
Si elles étaient au début une dizaine, puis une centaine les "Gulabis" ont fait des émules dans tout l'état, et même dans le pays.
Elles seraient en passe d'être près de 40 000.
Résistance collective d'un groupe qui affirme :
" Nous ne sommes pas contre les hommes.
Nous sommes pour l’égalité des droits pour tout le monde et contre ceux qui la refusent. "
Et comment ne pas penser que c'est ainsi que les choses peuvent changer ?
Source : Circé45over-blog
Lire aussi :
Sampat Pal Devi, la combattante indienne en sari rose
dimanche 19 octobre 2008
Sampat Pal a quitté l'Inde pour la première fois pour le lancement du livre qui raconte son histoire. Vendredi à Deauville, elle était l'invitée d'honneur du 4e Forum international des femmes.
Jean-Yves Desfoux.
Cette femme de 46 ans anime un « gang » de 3 000 femmes (désormais 40 000) qui se battent, de sit-in en opérations coup de poing, contre les injustices liées à l'inégalité des sexes et des castes.
Sampat Pal Devi.
Native de l'Uttar Pradesh, région rurale et pauvre du nord-est de l'Inde, elle a créé en 2006 le Gulabi gang, le « gang des saris roses ».
Comment a commencé votre combat contre les injustices ?
Quand ma belle-soeur est venue vivre avec nous, elle avait 12 ans. Comme moi à l'âge où je me suis mariée. Je l'entendais se faire battre à travers la cloison. Violemment, régulièrement. Je ne pouvais rien dire car la femme, en Inde, doit faire ce que son mari dit. Et le mien me disait que ce n'était pas nos affaires. J'ai quand même décidé d'agir et suis allée voir mon beau-frère pour qu'il cesse. J'étais révoltée et c'est ainsi que j'ai commencé à aider d'autres femmes.
Votre constat de la condition féminine en Inde est alarmant...
Des femmes souffrent. Humiliées, battues, mises plus bas que terre. Elles passent leur vie à enfanter. Si elles ne font plus l'affaire, elles sont mises à la porte par leur mari. Dans ma région, les femmes ne mangent pas à leur faim. N'ont parfois pas de couvertures pour dormir. Doivent aller faire leurs besoins dans les champs alors que des bandits rôdent et menacent de les violer.
Comment est né le Gulabigang, le gang rose en hindi ?
J'ai commencé à créer des groupes d'entraide dans les années 80 : j'ai compris que si une seule personne demande justice, elle a moins de chance de se faire entendre que si elle est accompagnée de cinquante manifestants. Dans mon gang, je leur permets d'être autonomes en leur apprenant la couture (elle montre les broderies du sari qu'elle porte) mais aussi à épargner.
Cela dynamise l'économie locale. Nous avions besoin d'une identité pour obtenir une vraie résonance. D'où le sari rose et le bâton à la main. Le sari rose est féminin. Le bâton, c'est pour terroriser les hommes qui ne nous écoutent pas. Et je n'ai pas peur de m'en servir !
Où puisez-vous ce courage ?
J'ai obtenu le soutien de mon mari, de mes enfants, qui me laissent désormais mener mes actions. J'ai assisté à mes premiers meetings en cachette. J'ai parfois des craintes, des peurs, mais je ne peux pas rester les bras croisés. Même si des menaces pèsent sur ma tête. En Inde, les avocats sont corrompus, ils exploitent leurs clients ! Si les policiers et les ministres ne font pas leur travail, je les rappelle à l'ordre. Quand on me dit que je vais trop loin, je leur dis qu'ils n'ont qu'à bien faire ce pour quoi on les paie !
Vous n'avez pas été à l'école. Cela constitue-t-il un frein à votre action ?
J'ai la capacité de persuader, de convaincre et d'unir les gens pour une cause. A-t-on besoin d'avoir fait des études pour protéger quelqu'un qui souffre ? Je sens que mon niveau de confiance s'améliore chaque jour. Que je deviens plus forte au fur et à mesure que les rangs de mon gang s'épaississent.
Les mariages d'enfants sont-ils toujours d'actualité ?
Oui. Et l'état de santé de ces enfants qui enfantent est désastreux. Nous sensibilisons les jeunes filles au sexe, sujet tabou dans notre région afin qu'elle ne le découvre pas, comme moi, au moment de la nuit de noces. Nous distribuons aussi des pilules contraceptives, parfois en cachette des maris. Pour qu'elles aient le choix.
Le 12 octobre, j'ai interrompu un mariage d'enfants avec mes femmes. Le ministre du Développement rural m'a téléphoné pour me dire que je mettais mon nez dans une affaire privée. Que cela ne me regardait pas. Je lui ai répondu que le jour où sa fille serait mariée de force, ce serait lui qui viendrait à ma porte pour réclamer mon aide !
On vous compare souvent à Phulan Devi, passée du statut de « chef de bande » à celui de députée. Envisagez-vous une carrière en politique ?
Je n'ai pas encore décidé. Mais si je dois me présenter, je le ferai : pour la justice et les femmes. Je ne suis pas intéressée par la politique traditionnelle.
Phulan Devi a été assassinée (ndlr : en 2001), je ne veux pas d'un tel dénouement, j'ai encore trop à faire. Pour l'instant, je pense qu'il est plus respectable d'intégrer mon gang que de faire de la politique. Les politiciens commencent à avoir la frousse ! (rires) Je gère mon groupe de manière non conventionnelle mais je ne succomberai jamais à la pression.
Propos recueillis par Johann FLEURI. Source Ouest France
Le film sur la vie de Phulan Devi : la réalité de la situation des femmes intouchables en Inde